DECOUVREZ LA BULGARIE
Histoire

  • Avant-propos

    La légende raconte que lorsque Dieu décida de procéder au partage du monde, tous les peuples étaient présents à l’exception des Bulgares qui s’étaient attardés à travailler aux champs. Appréciant leur zèle intempestif, et puisqu’il n’avait plus rien à distribuer, le Tout-Puissant leur accorda ce coin de paradis, cette corne d’abondance au cœur de la péninsule des Balkans, nommée depuis la Bulgarie.
    Située à la croisée des ambitions européennes et asiatiques et des grandes voies suivies au cours des siècles par le flux et le reflux des populations, elle s’est nourrie et enrichie à ces sources multiples. En effet, sept civilisations s’y sont succédé : thrace, slave, protobulgare, byzantine, romaine, turque et bulgare, chacune laissant de profondes empreintes.

      • Les civilisations préhistoriques

        Les terres bulgares d’aujourd’hui sont peuplées depuis l’époque paléolithique moyenne (100 000-40 000 ans avant notre ère). Les fouilles effectuées ont révélé des traces abondantes de cette période et attestent de la présence de civilisations préhistoriques durant toutes les périodes suivantes.  On trouve les vestiges de cette époque dans les grottes de la Bulgarie centrale. Le trésor d’objets d’or massif le plus ancien jamais trouvé est celui de la nécropole de Varna. Il remonte à la fin du IVème millénaire avant J.C.grotte Snejanka Rhodopes bnr
        Durant l’âge de bronze, les Thraces s’instal-lèrent dans cette région. Orphée aurait vécu dans les Rhodopes et le chef de la rébellion des esclaves, Spartacus serait né dans la région de Sandanski.

          • L’Antiquité

            La Thrace, Ier millénaire avant J.C.

            Les premiers habitants de Bulgarie qui soient mentionnés par les historiens sont les Thraces. Ceux-ci formaient une population nombreuse divisée en tribus quelquefois hostiles entre elles. Bien qu’ils n’eussent pas d’écriture, les Thraces ont pu être rattachés à la famille indo-européenne. Les plus importants vestiges de leur civilisation consistent en des tumuli. Les Thraces s’avéraient être un peuple d’agriculteurs et de pasteurs, mais ils excellaient également dans les métiers d’art : les trésors de Valtchi Tran et de Panagurichté témoignent encore de nos jours du haut degré qu’avaient atteint leurs orfèvres.le trésor d'or de Valtchitran
            Parmi les tribus installées dans la partie orientale de la péninsule balkanique, les Odryses sont les seuls à créer un état puissant (Vème-IVème siècles avant J.C.).Cet état atteint un très haut niveau culturel, comme en témoignent les multiples tombeaux thraces, dont certains sont dotés de belles décorations et peintures murales, comme ceux de Kazanlak et de Svechtari. Les archéologues bulgares y ont découvert de précieux objets et parures en or.

            kazanlak wikipedia

            Pendant l’époque de la colonisation grecque (VIIIème-VIème s. avant J.C.) d’importantes villes voient le jour le long du littoral de la mer Noire, comme Dionyssopolis (actuellement Baltchik), Odessos (Varna), Messembria (Nessebar), Anhialo (Pomorié), Apolonia (Sozopol). Vers le milieu du IVème siècle, la partie sud de la Bulgarie d’aujourd’hui est intégrée à l’empire macédonien de Philippe II et de son fils et successeur Alexandre le Grand. Vers cette époque, au IIIème s. avant J.C., les Celtes envahissent le nord de la péninsule balkanique et se maintiennent plus d’un demi-siècle sur l’actuel territoire bulgare.

            La période romaine, Ier-IVème siècles

            Dans la même période, les Romains firent leur première apparition dans les Balkans mais n’achevèrent leur conquête qu’au premier siècle de notre ère. Deux provinces romaines furent fondées : la Mésie, vers l’an 15, entre la chaîne du Balkan et le Danube, et la Thrace, en l’an 46, au sud de la chaîne du Balkan. Les plus grandes villes romaines de cette époque sont : Serdica (Sofia), Philipopolis (Plovdiv), Augusta Trajana (Stara Zagora).camp romain sostra
            Mais les invasions barbares compromirent l’œuvre de la civilisation romaine puis menacèrent, à partir du IVème siècle, la domination de Byzance lorsque l’Empire romain fut partagé entre l’Occident et l’Orient. Les Goths et les Huns, franchissant tour à tour le Danube, rasèrent les villes et massacrèrent une partie de la population.
            Au VIème siècle, l’empereur Justinien releva la plupart des ruines et rendit à cette partie de l’empire un certain éclat même si les invasions reprirent bientôt leur cours.                                                                                          

              • Le premier royaume bulgare (681-1018)

                Les Slaves avaient déjà pénétré dans la péninsule balkanique dès la fin du Vème siècle. Mais c’est seulement dans la seconde moitié du VIème siècle que leurs incursions devinrent plus fréquentes et qu’ils commencèrent à s’installer sur la rive droite du Danube. Leur mode de vie était tribal, malgré les quelques tentatives de s’organiser en état. Peu après, la masse des Slaves submergea les Thraces qui avaient survécu aux invasions précédentes, les assimilant tant au point de vue ethnique qu’au point de vue linguistique en annihilant leur langue originelle ainsi que le latin dont ils s’étaient longtemps servi. A partir de cette période, les Thraces se mirent à parler le dialecte des Slaves. Enfin, au milieu du VIIème siècle, un autre peuple, les Bulgares, cavaliers intrépides, turco-tatares d’origine et provenant d’Asie centrale, descend vers le delta du Danube. Les Byzantins, maîtres du territoire, essaient de les refouler. Au cours du conflit qui s’ensuit les Slaves se rendent du côté des Bulgares.
                C’est en 681 que l’empereur de Byzance Constantin IV, écrasé à l’embouchure du Danube par les troupes d’Asparouch, signa un traité par lequel il s’engageait à payer un tribut annuel au khan (terme désignant le souverain) bulgare. C’était la reconnaissance du nouvel état bulgare dont la première capitale fut Pliska alors que le territoire était limité à l’est par la mer Noire, au sud par le Balkan, à l’ouest par l’Iskar et plus tard le Timok et au nord par le Danube jusqu’à son embouchure.
                 Les guerriers d’Asparouch ont ainsi conquis un vaste territoire, et imposé leur domination sur les tribus slaves, leur apportant les bases de leur organisation politique.  C’est pourquoi l’état nouvellement fondé grâce à l’union des Slaves et des Bulgares, prit le nom d’État bulgare bien que l’élément slave y fût largement prépondérant.

                Après un siècle d’extension territoriale, au cours de la première moitié du IXème siècle, la Bulgarie occupe de vastes territoires au sud et au nord du Danube et s’impose comme la rivale principale de Byzance. En 865 le roi Boris Ier proclame comme religion officielle du pays le christianisme orthodoxe. La formation d’un clergé national aboutit à la proclamation d’un patriarcat indépendant de celui de Constantinople.
                En 865, les deux frères Cyrille et Méthode créent l’alphabet slave, qui plus tard prend le nom d’alphabet cyrillique. Ces évènements contribuent à l’unification des Slaves et des Bulgares et à la formation définitive de la nation bulgare.
                La culture médiévale bulgare connaît son plus grand épanouissement pendant le Xème siècle, appelé l’Âge d’or.
                De cette époque, datent de remarquables œuvres littéraires, qui marqueront de leur empreinte l’ensemble de la civilisation slave, ainsi que d’importantes constructions.

                Sous le règne du roi Siméon Ier, la Bulgarie devient l’état le plus puissant en Europe de l’est après Byzance à la fin du Xème siècle.
                 Mais le règne de Pétar Ier (927-969) inaugure une période de déclin : le poids des impôts, les exactions commises par de grands féodaux suscitent alors dans le peuple un mécontentement que cristallisera le mouvement bogomile fondé par le pope Bogomile. Après de longs combats, la Bulgarie tombe sous la domination byzantine en 1018. C’est la fin du premier royaume bulgare.

                Au cours de la résistance contre l’agression byzantine, les Bulgares transfèrent le siège de l’État et de l’Église dans les régions du sud-ouest.  Après 1018 l’empereur byzantin Basile II remplace le patriarcat bulgare par un archevêché bulgare indépendant, celui d’Ohrid. Malgré un régime relativement peu rigoureux, plusieurs révoltes font preuve de l’aspiration des Bulgares au rétablissement de leur indépendance politique.

                  • Le deuxième royaume bulgare (1187-1396)

                    Cette indépendance est restaurée suite à une insurrection dirigée par deux féodaux bulgares. Le royaume connaît son plus grand essor au XIIIème siècle. Le règne du roi Kaloyan (1197-1207) est une période de consolidation de l’état bulgare : après une union avec Rome (1204), le Pape reconnaît Kaloyan comme souverain et l’archevêque bulgare comme primat.
                    En 1205, l’armée des Croisés dirigée par Baudoin de Flandre est vaincue par Kaloyan ; ceci déclenche la chute de l’empire latin. Sous le règne du roi Ivan Assen II (1218-1241), les territoires bulgares débouchent sur trois mers : la mer Noire, la mer Égée et la mer Adriatique. En 1235 un concile reconnaît la capitale Tarnovo comme siège du patriarcat bulgare rétabli. La culture bulgare, notamment la peinture, connaît un essor impressionnant, comme en témoignent par exemple les fresques  de l’église de Boyana (1258).

                    Pendant la seconde moitié du XIVème siècle les désaccords entre les héritiers du trône bulgare provoquent l’affaiblissement et la division du pays en trois royaumes. Les Turcs, qui ont déjà soumis Byzance, sauf Constantinople, profitent de l’absence de pouvoir stable et centralisé en Bulgarie pour se lancer à sa conquête. Après une dizaine d’années de combats, ils soumettent définitivement le pays. Le patriarcat de Tarnovo perd peu à peu son indépendance et son diocèse passe sous la juridiction du patriarcat de Constantinople.

                      • Sous le joug (1396-1878)

                        Pendant près de cinq siècles, les territoires bulgares font partie de l’empire ottoman. L’occupation turque est la période la plus sombre de l’histoire bulgare. L’asservissement politique y fut aggravé par l’oppression religieuse : le patriarcat bulgare fut supprimé et l’ancienne Église bulgare placée sous la dépendance du patriarcat grec. Les monastères, foyers de la culture, furent saccagés. Écartée des régions stratégiques et des plaines fertiles, la population bulgare se retira dans les zones montagneuses.  Une partie se convertit à l’Islam : ce furent les Pomaks, dont les droits étaient en principe égaux à ceux de la population ottomane. Mais les paysans bulgares étaient pour la plupart écrasés par les impôts, les taxes et les redevances. L’impôt du sang prévoyait même la réquisition de garçons bulgares qui, instruits par les Turcs et convertis à la religion musulmane, étaient enrôlés dans le corps des janissaires. Cependant, les Bulgares parviennent à sauvegarder leur identité nationale, grâce à leur foi orthodoxe, à l’alphabet et à leurs coutumes et traditions. Les diverses formes de résistance armée (les haïdouks) sont l’expression de l’esprit insoumis des Bulgares et de leur aspiration à la liberté.

                        C’est au milieu du XVIIIème siècle que commence la période connue sous le nom de Renaissance nationale. Dès 1735 sont créées, en dehors même des monastères, des écoles où l’enseignement est donné en langue bulgare. Paisiï, moine du mont Athos, écrit son « Histoire slavo-bulgare » (1762). Les foyers de lecture, qui apparaissent dans toutes les grandes villes, contribuent puissamment au développement de la conscience nationale et à la diffusion d’une culture qui désormais s’affirme. La lutte contre le pouvoir du patriarcat de Constantinople est couronnée par l’instauration en 1870 d’une église bulgare indépendante : l’Exarchat bulgare qui s’organise dans les régions peuplées des Bulgares : la Macédoine, la Thrace, la Mésie.

                        Le mouvement pour une éducation et une culture laïques nationales marque, pendant la deuxième moitié du XIXème siècle des résultats comparables à  ceux de l’Europe centrale et occidentale. Alphonse de Lamartine, qui effectue un voyage en Orient (1832-1833) et s’arrête notamment en Bulgarie, décrit les Bulgares comme suit : « Ces hommes sont simples, doux, laborieux et pleins de respect pour leurs prêtres qui sont de simples paysans comme eux. Les Bulgares forment une population de plusieurs millions d’hommes qui s’accroît sans cesse. Les femmes sont jolies, vives, gracieuses. Les mœurs m’ont parues pures quoique les femmes cessent d’être voilées comme en Turquie. Les Bulgares sont complètement mûrs pour l’indépendance ».

                         

                          • L’insurrection d’avril 1876 et la guerre de libération (1877-1878)

                            Parallèlement on assiste à une extension de la lutte pour la liberté politique. Grâce à l’inlassable activité des militants révolutionnaires comme Géorgi Rakovski, Vassil Levski ou Luben Karavélov, des comités clandestins se sont constitués à travers toute la Bulgarie. Le 20 avril 1876 éclate à Koprivchtitza le coup de feu qui donne le signal de l’insurrection générale. Mais malgré un héroïsme sans précédent, elle est atrocement étouffée dans le sang. Une importante armée ottomane, secondée par les bachibouzouks (des brigands-mercenaires prêts à tous les pillages et à tous les massacres), se dirige vers les lieux de la révolte pour la mater. Des villes sont mises à feu et à sang. À Batak, la population toute entière est enfermée dans l’église et sauvagement exterminée à coups de hache. Hristo Botev, chantre inspiré de la liberté qui avait pris à Bucarest la direction du mouvement de libération, franchit le Danube à la tête d’une compagnie de deux cents hommes pour prendre part à la lutte. Sa compagnie est décimée peu après son débarquement dans la région de Vratza et lui-même meurt, atteint d’une balle au front, le 20 mai 1876.

                            Les exactions des Ottomans suscitent une vive émotion dans l’Europe entière. Garibaldi, Dostoïevski, Tourgueniev, Oscar Wilde ou encore Gladstone prennent fait et cause pour le peuple bulgare.  Victor Hugo écrit : « On assassine un peuple. Le moment est venu d’élever la voix. C’est à l’heure qu’il est, tout près de nous, sous nos yeux, on massacre, on pille, on extermine, on égorge. Quand finira le martyre de cette héroïque petite nation ? »

                            L’échec de la révolution d’avril avait montré que la Bulgarie ne pouvait espérer se libérer par ses propres moyens. Il lui fallait une aide étrangère. Devant le désaccord des grandes puissances sur l’opportunité d’une intervention, le tsar de Russie, dont le prestige auprès des Slaves des Balkans était en jeu, se décida à agir seul. La Russie déclara la guerre à la Turquie (avril 1877), et ses troupes, avec l’accord des Roumains, pénétrèrent en Bulgarie, s’emparèrent de la forteresse de Pleven puis ayant héroïquement forcé le col de Chipka avec l’aide de volontaires bulgares, s’avancèrent vers Adrinople (l’actuelle Edirné) et Constantinople. Alexandre II, victorieux, dicta la paix de San Stefano (3 mars 1878) qui ressuscita une grande Bulgarie couvrant tous les territoires peuplés de Bulgares.

                              • Le troisième royaume bulgare: les fatalités de l’histoire bulgare

                                A la fin du 19ème siècle, une Bulgarie nouvelle émerge donc, libérée d’un esclavage cinq fois séculaire. La guerre russo-turque de 1878 s’était rapidement terminée par la défaite des armées du sultan et le traité de paix signé à San Stefano, près d’Istanbul, crée une principauté indépendante dans les frontières historiques de son peuple.
                                Le but proclamé par l’Empereur de Russie Alexandre II était de faire cesser les massacres des populations chrétiennes par les bachi-bouzouks. Mais les grandes puissances, obsédées toutes par ce qu’on appelait la question d’Orient, n’ont voulu y voir que le danger d’une avancée russe vers les Détroits. La même année, à l’instigation de la Grande-Bretagne, un Congrès international fut réuni à Berlin, présidé par le prince Bismarck, dans le but de s’opposer à l’expansion de la Russie, en rétablissant l’autorité de la Sublime Porte.
                                Le Congrès aborda un ensemble de questions concernant les pays balkaniques, leur indépendance et les frontières de la Serbie et de la Roumanie, la remise de la Bosnie-Hérzégovine sous administration de l’Autriche, la cession à la Russie de la région arménienne de Kars, Ardahan et Batum, l’attribution de la Bessarabie à la Roumanie, etc… Quant à la Bulgarie, le traité commence par régler son sort. Le résultat fut une tragédie nationale.

                                Un pays amputé

                                La Bulgarie créée à San Stefano fut annihilée et démembrée avant même de commencer son existence d’État indépendant. Le Congrès procéda à un triple dépeçage de son territoire. Il fut coupé en deux parties et seule la moitié nord fut érigée en une principauté minuscule placée, de plus, sous la suzeraineté du sultan.

                                La région sud, la plus riche, avec la deuxième ville du pays, Plovdiv, fut affublée du nom significatif de Roumélie orientale (pour les musulmans, les Roumis étaient les infidèles : le mot désigne aujourd’hui les tziganes), devenue une province turque dirigée par un gouverneur nommé par Constantinople. Quant à la Macédoine dont la population était reconnue bulgare par les firmans de la Porte, elle fut généreusement offerte à la Turquie et redevint aussitôt victime d’exactions sauvages de la soldatesque turque et des tribus guerrières transférées et établies en Macédoine, notamment soixante mille tatars de Crimée. Ce sont leurs carnages qui avaient rendu nécessaire une conférence des ambassadeurs, à Londres, en 1876. On possède une autre preuve du souverain mépris du Congrès de Berlin pour ce qu’on appelait déjà le droit d’autodétermination des peuples : avant de procéder au partage horizontal de la Bulgarie (nord-sud), la proposition avait été énoncée d’une division verticale (est-ouest). Le caractère ethnique de la population n’a jamais été pris en considération, l’unique intention du Congrès ayant été d’affaiblir un éventuel accroissement de l’influence russe dans la région.

                                On doit insister sur ce découpage inique dont l’absurdité même présageait la précarité. La division du territoire national, la vassalité rétablie n’était pas le plus grave. Le mal était réparable et fut d’ailleurs vite réparé : à peine sept années plus tard, l’Union des deux Bulgaries avait été solennellement proclamée par le prince Alexandre Battenberg, sans coup férir et sans réactions particulières de Constantinople. En 1907, le prince Ferdinand annonçait l’indépendance, rétablissant en même temps le titre traditionnel de tsar des Bulgares.

                                Demeurait la Macédoine, toujours sous le joug. Il ne suffit pas de dire que sa libération restait le but principal de la Bulgarie. C’était l’idéal de la nation qui allait dominer désormais toute son existence. Le problème du retour à la mère patrie de la province arrachée allait être l’hypothèque qui pèsera sur toutes ses prises de position dans le domaine international. Pour le comprendre, il suffit de se rappeler ce que signifiait la perte de l’Alsace pour les générations françaises après 1871.

                                 L’alliance balkanique et la guerre de 1912-1913

                                Dès le printemps de 1912 commencent les négociations pour une alliance entre les trois États balkaniques (Bulgarie, Serbie et Grèce, auxquels se joint le Monténégro). Le traité est accompagné d’une convention militaire secrète dont le but est la libération de la Macédoine, sacrifiée par la politique des congrès des grandes puissances. La guerre éclata au début d’octobre de la même année et c’est le petit Monténégro, ayant eu l’honneur d’ouvrir les hostilités avec l’armée de l’Empire ottoman, qui lui infligea sa première défaite. La Turquie fut rapidement vaincue dans cette phase initiale de la guerre. La Bulgarie, par son voisinage direct avec le puissant ennemi, subit, au cours de la durée des opérations, le choc des plus durs combats sur un front de cent vingt à cent trente kilomètres. Elle eut, de loin, le plus grand nombre de tués et blessés ; son armée de deux cent cinquante mille hommes soutint le siège d’Odrine sur la voie de Constantinople, qui capitula le 13 mars 1913.

                                Durant ce temps, les deux alliés serbe et grec combattaient en Macédoine où ils s’assuraient l’occupation de vastes territoires et établissaient leur pouvoir, même sur les provinces garanties à la Bulgarie par le Traité d’Alliance et désignées comme sa zone non contestée. Leur intention notoire de ne plus les évacuer avait créé une profonde inquiétude et suscité l’extrême exaspération au sein des armées bulgares en Macédoine. Leur commandement commit, le 16 juin 1913, l’erreur tactique de répondre aux chicanes serbes par une attaque qualifiée par un grand homme politique bulgare de démence criminelle… La deuxième guerre balkanique éclata avec les deux alliés félons, auxquels se joignit la Roumanie, pour la curée. La Bulgarie perdit toute la Macédoine, ne conserva en Thrace qu’un couloir vers la mer Égée, qu’elle dut abandonner quelques années après, à la suite de la deuxième guerre mondiale.

                                Le traité de Berlin, puis celui de Bucarest par lequel s’est terminée la guerre balkanique, sont les sources de ces fatalités de la Bulgarie. Son sort fut scellé, et lorsqu’éclata la grande guerre, elle n’avait plus de liberté de choix. En 1914, elle décida de garder la neutralité, mais sa position géographique excluait la possibilité de la conserver dans les Balkans en flammes. Entre les deux camps, elle ne pouvait choisir que celui qui put lui offrir quelques espérances de réparer l’injustice dont elle avait été victime. Il faut se souvenir qu’en 1915, la Serbie se battait déjà aux côtés des Alliés qui ne pouvaient rien offrir au gouvernement de Sofia. En pleine guerre, un homme d’état serbe les avertit : La Macédoine a été conquise par le sang, elle ne pourra être reprise que par le sang. Et le prince héritier de Serbie renchérit, menaçant Paris et Londres d’une paix séparée avec l’Autriche : Nous préférons offrir à l’Autriche toute la Serbie plutôt que de voir un arpent de terre macédonienne cédé à la Bulgarie.

                                 La deuxième guerre et le paradoxe bulgare

                                On a souvent parlé des fautes commises par la Bulgarie en choisissant son camp. La vérité est qu’à cause de sa position au milieu de voisins hostiles – la conférence de la paix de Paris (1919) a été suivie de deux alliances créant deux cordons sanitaires : la Petite Entente (Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Roumanie) puis l’Entente balkanique, cette dernière dirigée expressément contre la Bulgarie. Durant la deuxième guerre, la question de choisir ne se posait plus pour personne devant l’agression nazie. Un regard sur la carte de l’Europe nous rappelle qu’il n’y avait à l’époque que deux catégories de pays : ceux envahis par la Wehrmacht et les alliés du IIIème Reich, plus trois pays neutres : la Suisse, la Suède et le Vatican, et une île: l’Angleterre. Dans la région qui nous occupe, la Hongrie et la Roumanie avaient signé le pacte tripartite de l’Axe et prenaient une part active à la guerre à l’Est. La Bulgarie, après mille tergiversations et manœuvres dilatoires du roi Boris, le signa enfin, suivie de peu par Belgrade. Mais un coup d’état annula cette signature et la Yougoslavie connut à son tour l’occupation. Cependant, seule la Bulgarie n’envoya pas de soldats contre la Russie où se battaient les divisions hongroises et roumaines aux côtés des combattants de la Légion française (LVF). Mieux, la Bulgarie ne rompit même pas les relations diplomatiques avec Moscou durant toute la guerre et les ministres plénipotentiaires d’URSS et du Reich allemand sont demeurés à Sofia jusqu’à la fin du conflit.

                                Moscou lui déclara la guerre in extremis le 5 septembre 1944 alors qu’un gouvernement des anciens partis démocratiques avait déjà ouvert les hostilités avec l’Allemagne. Paradoxalement, la Bulgarie s’est trouvée un moment en guerre à la fois avec l’URSS et l’Allemagne. La propagande communiste a répandu la version des trois catastrophes nationales de la Bulgarie, entendant par-là la guerre balkanique, la grande guerre, puis la deuxième guerre. La vérité est autre. La dernière guerre a été la seule dont la Bulgarie soit sortie avec un territoire accru par la cession de la Dobroudja du sud par la Roumanie, en 1940. On admettra cependant qu’il y eut une troisième catastrophe nationale, la plus grave pour les trois dernières générations : ce fut le régime totalitaire instauré à la faveur de la guerre de 1939-1945 à laquelle elle n’avait pas participé.